L’accès des femmes à l’avortement n’est pas si simple - Réseau de Périnatalité de Normandie

L’accès des femmes à l’avortement n’est pas si simple

par / lundi, 30 juillet 2018 / Publié dans ACTUALITÉS

© Paris-Normandie – Isabelle Motte, gynécologue, référente du centre de planification du CHU de Rouen.

PARIS NORMANDIE | Mélanie BOURDON | Publié 30/07/2018 11:47 | Mise à jour 30/07/2018 11:59

Santé. Si à Rouen, les femmes ont globalement un accès « facile » à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), la pratique est toujours taboue. Les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) inquiètent les praticiens.

À l’heure où Simone Veil, ancienne ministre de la Santé ayant défendu la dépénalisation de l’avortement, entre au Panthéon, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse reste un parcours du combattant pour les femmes.

« Il faut déjà savoir à qui s’adresser », indique le docteur Patrick Fournet, obstétricien au centre hospitalier du Belvédère, à Mont-Saint-Aignan. Le premier réflexe consiste à visiter le site « ivglesadresses.org » pour identifier les lieux susceptibles d’accompagner la femme dans sa démarche, de la consultation jusqu’à l’avortement. Mais un tour sur la plateforme permet de mesurer à quel point cet acte reste difficile à assumer pour le personnel médical. Dans la métropole de Rouen, seuls onze médecins acceptent d’indiquer leurs noms.

Quant aux sages-femmes, autorisées à pratiquer l’IVG médicamenteuse, jusqu’à cinq semaines depuis le décret du 2 juin 2016, aucune n’est inscrite pour le moment. Et pour cause, aucune en ville ne la pratique. « Les sages-femmes ne peuvent que si elles ont également une pratique en centre de santé », poursuit le Dr Fournet. Une seule devrait pouvoir remplir les conditions et recevoir prochainement l’autorisation à Rouen.


Des équipes formées à la bienveillance

Reste les centres médicaux et le Planning familial de Rouen. Or on constate de gros écarts dans l’accès à la prise en charge entre la ville-centre, bien lotie avec le CHU, le Belvédère, la clinique Mathilde et le Planning familial, et les zones rurales, largement dépourvues. Les vacances d’été n’arrangent rien. « Une dame de Pont-Audemer nous a appelés pour trouver une solution. Elle va devoir venir jusqu’à Rouen pour toutes les consultations ! », déplore Brigitte Allix, conseillère conjugale et familiale au Planning familial.

De plus, l’accueil n’est pas forcément le même d’un centre à l’autre. Alors que le Belvédère a une tradition de bienveillance, ce ne fut pas toujours le cas au CHU. Brigitte Allix souligne tout de même d’importants progrès : « À une période, nous avions de très mauvais échos du CHU mais cela s’est bien amélioré depuis plusieurs années. Les femmes sont bien prises en charge. Même si, de temps en temps, on nous rapporte encore des propos malveillants, mais c’est le fait de quelques personnes seulement. »

Depuis trois ans, le docteur Isabelle Motte, gynécologue médicale, praticien hospitalier, est référente du centre de planification du CHU. L’objectif, en la recrutant, était de le développer. « Nous voulons progresser dans le suivi des femmes. Comme il y a de moins en moins de gynécologues de ville et qu’ils ne prennent plus de nouvelles patientes, le nombre de consultations en gynécologie médicale a augmenté. Nous sommes passés de 2 500 à 3 000 en deux ans. N

ous ne traitons pas seulement les IVG mais également les problèmes de contraception et de gynécologie endocrinienne. » Elle souligne les sensibles améliorations du centre de planification : « Les femmes consultant le CHU vont de l’adolescente prenant sa première contraception à la sexagénaire qui vient pour une visite de contrôle, en passant par la trentenaire devant avoir recours à l’IVG. »

L’autre nouveauté est l’intégration du centre au cœur du CHU : « Avant il était plus excentré. Et ce sont des médecins du CHU qui pratiquent les IVG. Il y a quelques années, c’était des vacataires extérieurs. » L’ensemble du personnel a été formé pour accueillir au mieux les patientes. Du premier contact téléphonique à l’acte, il s’écoule moins d’une semaine lorsque la femme choisit l’IVG médicamenteuse. En revanche, le délai passe à une dizaine de jours (quinze pendant les vacances) lorsque la version chirurgicale est décidée, du fait de la surcharge de travail des chirurgiens. Avec toutefois une certaine souplesse : « En cas d’urgence on trouve un créneau. Nous avons aussi un généraliste à l’hôpital qui pratique l’IVG », souligne Isabelle Motte. Pour le moment, le CHU limite à neuf semaines aménorrhées le recours à l’IVG médicamenteuse. « Mais nous sommes en train de consulter les équipes pour aller plus loin [la loi autorise 14 semaines, NDLR. Mais il faut que cela reste un choix de la patiente. »

Afin d’évaluer la qualité des services, le réseau de périnatalité a mis en place un questionnaire distribué chaque trimestre dans les centres pratiquant l’IVG. « Elles sont interrogées sur le ressenti lors de l’appel, la prise de rendez-vous, le contact avec la sage-femme et le médecin. » Un second sera distribué l’an prochain sur l’après IVG.


Que dit la loi ?

L’IVG est possible jusqu’à 14 semaines d’aménorrhées (soit 14 semaines après le début des dernières règles). La patiente peut choisir entre IVG chirurgicale et IVG médicamenteuse. Mais, dans ce dernier cas, tous les centres ne la pratiquent pas jusqu’à 14 semaines. Beaucoup s’arrêtent à 9 semaines.

L’IVG peut être pratiquée en cabinet médical, chez une sage-femme ou au planning familial jusqu’à 5 semaines.

L’IVG se pratique en quatre temps : une consulta

tion d’information et de contrôle puis l’IVG à proprement parler. Enfin, une visite de contrôle est effectuée dans les deux à trois semaines qui suivent afin de s’assurer de la réussite de l’opération.


« Les recommandations créent le doute chez les praticiens »

Patrick Fournet est obstétricien au centre hospitalier du Belvédère, à Mont-Saint-Aignan.

IVG médicale ou chirurgicale, quelle différence ?

« Les deux sont aussi efficaces. En 2017, 67 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG en Haute-Normandie l’ont fait de manière médicamenteuse. Mais en juin dernier, l’HAS a édité des recommandations sans tenir compte des conclusions des sociétés savantes et sans les en informer. L’HAS préconise l’IVG médicamenteuse jusqu’à 9 semaines alors que la loi prévoit 14 semaines. Jusqu’à 7 semaines, le misoprostol peut être utilisé. Entre 7 et 9 semaines, l’HAS recommande un médicament introduit par voie vaginale, géméprost, extrêmement douloureux. Alors que des études mondiales prouvent l’efficacité du misoprostol entre 7 et 14 semaines. »

Pourquoi une telle différence entre la HAS et les sociétés savantes ?

« Le misoprostol n’a une autorisation de mise sur le marché (AMM) que p

our les IVG jusqu’à sept semaines. Car, lorsque la demande a été faite, la loi n’autorisait que l’IVG médicamenteuse jusqu’à sept semaines. Mais on peut travailler hors AMM. Cette recommandation est faite sous la pression de groupes anti-misoprostol. »

C’est-à-dire ?

« Il y a quelques années, le Cytotec (misoprostol) était utilisé pour déclencher le travail lors d’accouchements. Il y a eu quelques accidents. Des ruptures de la paroi utérine entraînant un manque d’oxygène chez les enfants et conséquemment, des pathologies cérébrales. Il n’y avait pas de protocole. Les associations de familles ont demandé l’arrêt de l’utilisation du Cytotec. Mais là, nous ne sommes pas dans le même cadre. Les recommandations de l’HAS ne sont p

as opposables mais elles créent le doute chez les praticiens. Elles peuvent avoir des conséquences médico-légales en cas d’accident. »

Quelle est la solution ?

« Il faut que les laboratoires demandent une AMM plus longue ou une incitation de l’HAS. Il faut aussi obliger les établissements à être plus performants sur l’information aux patientes. Elles doivent savoir lorsque l’on utilise une molécule hors AMM. »

Mais ne peut-on pas se passer du misoprostol ?

« Selon les études, ce médicament est plus efficace et présente moins d’effets secondaires. On parle beaucoup des violences obstétricales mais l’HAS nous impose d’être maltraitant dans ce cas-là. »


Pour en savoir plus :

Page [IVG] – cliquer ici

Enquête [IVG] – cliquer ici

Article [IVG – Zoom sur les méthodes et les protocoles] – cliquer ici

Source : (cliquer sur l’image pour accéder au lien)

Rouen et sa région : l’accès des femmes à l’avortement n’est pas si simple

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